samedi 12 septembre 2015

Entre Grands Lacs et Afrique australe : quel positionnement régional pour la RDC ?

Introduction

 Quelle visibilité a-t-on des stratégies régionales de la République démocratique du Congo ? La Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL) s’est construite autour de cet État comme organe d’exécution du Pacte sur la sécurité, la stabilité et le développement dans la région des Grands Lacs1 .

 Parallèlement, on a vu au cours des deux dernières décennies le gouvernement congolais multiplier les initiatives vers l’Afrique australe tout en développant une politique inconstante dans les Grands Lacs et en Afrique de l’Est ainsi qu’en freinant des engagements en Afrique centrale. Partageant 10 744 km de frontières avec neuf États, la RDC occupe une position centrale qui l’oblige à être active dans quatre grands espaces régionaux (voir cartes ci-dessous) :  une zone atlantique dans sa partie occidentale, orientée vers le Golfe de Guinée ;

 une aire centrale autour du Bassin forestier du fleuve Congo qui l’ancre en Afrique centrale ;  une dynamique australe obéissant au Bassin minier de la « Copper Belt » qui l’associe à l’Afrique australe ;

  une dynamique orientale à travers la région des Grands Lacs qui la pousse vers l’Afrique de l’Est et l’Océan Indien. Ainsi, par sa géographie, la RDC s’étend logiquement sur trois régions : l’Afrique centrale, l’Afrique australe et l’Afrique orientale.

 Le défi devrait consister pour elle à veiller à la cohésion du territoire en connexion avec ces différentes zones, pour sa stabilité, son développement et sa sécurité tout en jouant un rôle fédérateur vis-à- vis de l’extérieur. À chacune de ces dynamiques correspondent une ou plusieurs institutions régionales dont la RDC est, ou devrait être, 1.

Le Pacte sur la sécurité, la stabilité et le développement dans la région des Grands Lacs a été signé le 15 décembre 2006 à Nairobi par les chefs d’État des pays participant à la Conférence Internationale des Grands Lacs (CIRGL) sous l'égide de l’ONU et de l’Union Africaine.

 Il s’agit des pays suivants : Angola, Burundi, Congo-Brazzaville, Kenya, Ouganda, République Centrafricaine, République démocratique du Congo, Rwanda, Soudan, Tanzanie, Zambie.

membre.
Mais en dehors du fait que ces institutions fonctionnent à des allures très différentes, la multi-appartenance donne une impression d’écartèlement du pays.
 Les engagements régionaux congolais paraissent ainsi non seulement insuffisants ou incohérents, mais surtout ils ne semblent ni à la hauteur des exigences de cette position au confluent de plusieurs dynamiques, ni à la hauteur de la taille du pays (2,3 millions de km2 ), ni encore moins à la hauteur des enjeux, des risques ou des perspectives que porte la situation intérieure de ses neuf voisins. De ce fait, son territoire national paraît désarticulé du fait notamment de l’insuffisance des infrastructures de transport et de communication qui ne relient pas ces quatre blocs régionaux.

En réalité, ces quatre dynamiques régionales n’ont jamais fonctionné de façon équivalente et créent des difficultés de positionnement pour le gouvernement congolais2 . Ainsi, la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC) qui vise la constitution d’un marché commun, est confrontée à un conflit régional dans les Grands Lacs et tarde à rendre opérationnelle sa zone de libre-échange annoncée en 2004. De même, l’union douanière n’est pas établie et l’harmonisation des politiques dans des secteurs clés de l’intégration régionale avec la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC) en est encore aux études préparatoires3 . Quant à la Communauté économique des pays des Grands Lacs (CEPGL) et à la CIRGL, elles sont handicapées par la situation sécuritaire dans les provinces du Nord-Kivu et Sud-Kivu, et la méfiance entre plusieurs États membres. À l’inverse, la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC) dont la RDC n’est pas membre mais dont tous les membres font partie du Marché commun de l’Afrique orientale et australe (COMESA) tout comme la RDC d’ailleurs, a concrétisé sa zone de libre-échange et a annoncé son projet d’union douanière en 20134 . Pour sa part, la Communauté de développement d'Afrique australe (SADC) a harmonisé sa politique de transport routier intra-régional sur le Corridor Central depuis le port de Dar es Salam en ratifiant l’accordcadre (prix du péage uniformisé, simplification des formalités douanières, etc.) et en installant le système RADEX pour la transmission accélérée des informations routières et du suivi des marchandises.

 Mais jusque là, la RDC, pourtant membre de la SADC et du Corridor Nord, n’avait pas encore ratifié ces protocoles5 . Tout ceci crée des tensions et des distorsions entre, d’un côté, les provinces frontalières du Katanga (Lubumbashi, au sud) ou des 2 Entretien avec un ancien ministre (2006-2012), Kinshasa, 20 novembre 2012. 3. Observatoire des Grands Lacs en Afrique, Note n° 3, 2012 et entretien avec un fonctionnaire chargé d’intégration régionale à la CIRGL, Kinshasa, 3 décembre 2012. 4. Le COMESA – Common Market for Eastern and Southern Africa – est composé du Burundi, des Comores, de Djibouti, de l’Égypte, de l’Érythrée, de l’Éthiopie, du Kenya, de la Lybie, de Madagascar, du Malawi, de Maurice, du Nord Soudan, de l’Ouganda, de la RDC, du Rwanda, des Seychelles, du Swaziland, de la Zambie et du Zimbabwe. La CEPGL – Communauté Économique des Pays de Grands Lacs – regroupe le Burundi, la RDC et le Rwanda. L’EAC – East African Community – regroupe le Burundi, le Kenya, l’Ouganda, le Rwanda et la Tanzanie. La CIRGL est composée de l’Angola, du Burundi, du Congo-Brazzaville, du Kenya, de l’Ouganda, de la République Centrafricaine, de la RDC, du Rwanda, du Soudan, de la Tanzanie et de la Zambie, soit les neuf voisins de la RDC plus le Kenya. La CEMAC – Communauté Économique et Monétaire d’Afrique Centrale – regroupe le Cameroun, la Centrafrique, le Congo-Brazzaville, le Gabon, la Guinée Équatoriale et le Tchad.

 La CEEAC – Communauté Économique des État d’Afrique Centrale – regroupe les pays de la CEMAC auxquels s’ajoutent l’Angola, le Burundi, le Rwanda (en tant qu’observateur) et Sao Tomé. 5. Entretien avec un fonctionnaire de la Division du Transport, Province du Katanga, Lubumbashi, 13 mars 2012. Voir aussi dans Banque mondiale, Le camionnage sur la Nationale 1 en République Démocratique du Congo. Étude réalisée par CARANA, février-juin 2012, Rapport provisoire, Washington, 2012. C. Musila / Quel positionnement pour la RDC ? 6 © Ifri Kivu (Goma, Bukavu et Butembo, à l’Est) et de l’autre Kinshasa, la capitale, à l’ouest. Les premières se retrouvent impliquées dans les dynamiques régionales de la SADC ou de l’EAC mais n’en bénéficient pas parce que la RDC n’a pas encore ratifié les différents accords de la SADC et n’est pas membre de l’EAC. La perception locale dans ces provinces est que Kinshasa cherche à étouffer politiquement ou administrativement les dynamiques régionales.


 C’est sans nul doute pour répondre à un besoin de cohérence du territoire et de visibilité de la stratégie que le gouvernement mettait en place en 2012 une cellule chargée de l’Analyse économique, du développement et de la prospective, reliée à la Primature (Premier Ministre). La mission de cette direction est d’évaluer les opportunités des Communautés Économiques Régionales (CER), d’élaborer et d’appliquer une politique régionale claire et cohérente .

 Ce texte analyse l’implication de la RDC dans les dynamiques des zones d’Afrique australe et d’Afrique orientale. Les données sur lesquelles elle se base proviennent de deux missions effectuées en 2012, l’une de novembre à décembre 2012 à Kinshasa pour le compte de l’Ifri, et l’autre réalisée de février à juin 2012 pour la Banque mondiale sur l’exportation et le transport miniers du Katanga. 6. Entretiens avec un fonctionnaire de la Primature et un cadre de la CIRGL, Kinshasa, 26 novembre 2012. 7 © Ifri Les stratégies Grands Lacs et Afrique orientale Pour comprendre les stratégies d’inscription de la RDC dans son environnement régional, il est nécessaire d’identifier les caractéristiques des dynamiques de cette zone. D’une part, les dynamiques de l’Est de la RDC sont orientées vers l’Océan Indien à travers le « Corridor Nord » vers le port de Mombasa au Kenya et à travers le « Corridor central » vers le port de Dar es Salam.

 Cette zone, qui implique le Burundi, le Kenya, l’Ouganda, l’Est de la RDC, le Rwanda, le Sud Soudan et la Tanzanie, est par ailleurs un pôle démographique important avec une densité qui atteint 453 habitants au km2 7 , avec un chapelet de villes jumelles, toutes fixées aux abords des frontières avec l’Ouganda, le Rwanda et le Burundi.

Ainsi du nord au sud, on trouve :  Aru (RDC) et Arua (Ouganda) ;  Beni (RDC) et Mpondwe ou Kasese, un peu plus loin (Ouganda) ;  Goma (RDC) et Gisenyi (Rwanda) ;  Bukavu (RDC) et Cyangugu (Rwanda) ;  Uvira (RDC) et Bujumbura (Burundi). Certaines de ces villes sont séparées par des lacs (lac Albert, lac Édouard, lac Kivu et lac Tanganyika) et des rivières (Semuliki et Ruzizi) qui constituent aussi des espaces transfrontaliers, enjeux de coopération ou de disputes régionales, en particulier pour le partage des ressources : les eaux de la Semliki (affluent du Nil Blanc),

l’exploitation du pétrole du lac Albert ou, pour le lac Kivu, l’exploitation du gaz méthane et la pêche. 7. En comparaison, le Nigeria, pays le plus peuplé du continent africain a une densité de 178,18 habitants au km2 alors que celle du Burundi est de 335, celle de l’Ouganda de 172 et celle de la RDC de 30. Sources : Perspectives Monde, Université de Sherbrooke, Canada, 2012 ; voir aussi dans Cyril Musila, Le Kivu, charnière entre l’Atlantique et l’Océan Indien, Note de l’Ifri, mars 2009.

Le différend entre la RDC et l’Ouganda est d’abord territorial et concerne les délimitations des frontières lacustres sur le lac Albert, où les deux pays convoitent particulièrement l’île de Rukwanzi, à la pointe sud du lac, dont les eaux sont réputées riches en pétrole et poissonneuses. En fait, les conflits frontaliers entre la RDC et l’Ouganda sont nombreux et extrêmement complexes car la frontière entre les deux pays était devenue illusoire durant l’occupation ougandaise de 1996 à 2005, et parce que des groupes rebelles ougandais de l’Armée de résistance du Seigneur (LRA) ou des Forces démocratiques alliées – Armée nationale de libération de l’Ouganda (ADF-Nalu) - y sont présents. Le conflit le plus dur concerne le pétrole du lac Albert8 .


En septembre 2008, le groupe pétrolier canadien Heritage Oil a annoncé la découverte d’une réserve de pétrole aux alentours du lac. Selon la compagnie, il s’agirait de la plus grosse réserve pétrolière jamais découverte en Ouganda. Son potentiel de production quotidienne est estimé à plus de 14 000 barils. Les accrochages et les tensions entre militaires congolais et ougandais ou entre pêcheurs de deux pays y sont récurrents, surtout depuis que l’Ouganda a accéléré le rythme des activités pétrolières. Mais avant même la découverte du gisement, des heurts avaient opposé l’Ouganda et la RDC, début août 2007, lorsqu’un ingénieur britannique, qui prospectait pour Heritage Oil sur la partie ougandaise du lac a été retrouvé assassiné. Kampala avait alors accusé l’armée congolaise d’être responsable du meurtre.

Outre le pétrole, c’est aussi la convoitise des ressources minières, notamment l’or dont regorge cette région frontalière (l’Ituri), qui crée des tensions entre les deux États9 . Quant au lac Kivu, frontière commune entre la RDC et le Rwanda, il regorge d’un volume de gaz méthane estimé à 65 milliards de m3 (l’équivalent de 50 millions de tonnes d’équivalent pétrole (tep)). C’est une source d’énergie quasi inépuisable pour les deux pays.

En juillet 2009, la RDC et le Rwanda avaient signé un protocole d’accord pour une exploitation commune de ce gaz en vue de produire 200 mégawatts d’électricité. D’après ledit accord, les deux pays avaient convenu de se répartir 100 mégawatts chacun, pour résoudre le déficit en électricité dans cette partie de la région des Grands Lacs.

Dès lors, le Rwanda s’est lancé dans l’exploitation pour laquelle la société Data Environnement a mis au point une station pilote d’extraction du méthane à des fins énergétiques. Contour Global, une autre société, avait annoncé la signature d’un accordavec la République du Rwanda pour développer le projet Kivuwatt mobilisant 325 millions de dollars et afin d’obtenir 100 mégawatts d’électricité supplémentaires pour la région. Les installations gazières rwandaises sont d’ailleurs visibles aux larges de Gisenyi du côté rwandais du lac.

 Du côté de la RDC fin 2009, la Banque mondiale avait alloué trois millions de dollars au Ministère de l’Environnement, de la Conservation de la Nature et du Tourisme pour le dégazage de la presqu’île de Kabundo, située dans le Nord du Lac Kivu, le méthane étant extrêmement dangereux. Mais aucun chantier n’a vu le jour ni pour ce dégazage ni pour un projet d’exploitation énergétique. « Pour quelles raisons ? », se demande un homme d’affaires de Goma10 . Au-delà du déficit de visibilité de ce projet en RDC, comme le suggère l’interrogation de l’homme d’affaires, la confiance entre les deux pays était au plus bas pendant cette période, bien que leurs armées menaient des opérations officiellement conjointes pour traquer des rebelles des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), tandis que le Rwanda continuait de veiller sur des rébellions dans l’Est de la RDC.

 Néanmoins, cette zone d’Afrique de l’Est est la plus avancée en coopération transfrontalière de grande distance (entre les États membres du Corridor Nord, par exemple) en termes de transport routier des marchandises mais aussi en termes de coopération transfrontalière de proximité à travers la CEPGL, qui permet la circulation des personnes et des biens11 . Cependant, le développement de la coopération transfrontalière pousse à relever un certain isolement de la RDC dans les dynamiques d’intégration de l’Afrique orientale.

En effet, n’étant pas membre de la Communauté d’Afrique de l’Est, la RDC se voit privée des bénéfices et avantages procurés par les dispositifs d’intégration régionale, à savoir le projet de construction de vastes infrastructures régionales (dont un chemin de fer et un oléoduc reliant Nairobi, Kigali et Kampala), l’établissement d’une zone touristique unique avec visa touristique unique en vigueur depuis 2014 pour le Rwanda, le Kenya et l’Ouganda qui sera élargi au Burundi et à la Tanzanie, etc.

Naguère très actif au sein de la Communauté Économique des Pays des Grands-Lacs (CEPGL)12 où il exerçait un certain leadership (financement des bourses d’études universitaires CEPGL pour les étudiants rwandais et burundais dans les universités de Kinshasa et Kisangani notamment), le Zaïre (redevenu République Démocratique du Congo avec Laurent-Désiré Kabila en 1997) a vu ce dynamisme baisser progressivement au début de la décennie 1990 pour tout à fait disparaître avec l’entrée en léthargie de la CEPGL après le génocide au Rwanda en 1994 et la crise subséquente des réfugiés dans le Kivu. L’institution n’a jamais été dissoute mais aucun État ne s’en occupait13. En effet, dès 1989, le Burundi avait connu des massacres interethniques de grande ampleur. En 1993, le pays entrait en guerre civile après l’assassinat du premier président hutu Melchior Ndadaye, élu démocratiquement en octobre.


 La mort de son successeur Cyprien Ntaryamira aux côtés du président rwandais Juvénal Habyarimana dans l’attentat de leur avion en avril 1994 à Kigali avait accéléré la crise. Le coup d’État contre Sylvestre Ntibantunganya, le successeur de Ntaryamira, accentua la guerre civile. Du côté zaïrois, en 1991, le Kivu entrait en ébullition autour des questions de nationalité, de terre et de représentation politique, en particulier à Conférence Nationale Souveraine à Kinshasa, en opposant les « autochtones » aux populations d’origine rwandaise ou d’expression kinyarwanda. Ces tensions se dédoublèrent (dans le Kivu) avec l’arrivée de millions de réfugiés rwandais fuyant les combats dans leur pays, car le Rwanda était plongé dans une guerre civile depuis le début des années 1990 qui conduisit au génocide de 1994.

 Ainsi, préoccupés par les fragilités internes, les trois pays ne s’occupèrent plus de la CEPGL. Les ex-rebelles rwandais, venus de l’Ouganda et vainqueurs de la guerre civile, manifestèrent une hostilité vis-à-vis de cette institution, ne voulant pas travailler avec des personnes qui avaient collaboré avec le gouvernement précédent et cherchant à s’ancrer dans la sphère anglophone d’Afrique de l’Est dont ils étaient majoritairement issus.

Si les guerres civiles et le conflit régional en RDC ont eu raison de l’institution CEPGL, des mesures et des projets d’intégration régionale ont persisté jusqu’à constituer le socle sur lequel ladite institution a été relancée en 2005, sans toutefois retrouver le dynamisme des années 1970 ou 1980. En effet, la CEPGL avait institué des mesures de libre circulation des personnes habitant les zones frontalières. Un simple laissez-passer gratuitement délivré par les douanes suffisait pour traverser la frontière.

Ces mesures n’ont pas été remises en question à ce jour. De même, un certain nombre d’infrastructures communes mises en place par la CEPGL ont persisté. C’est le cas des barrages de Ruzizi I et II sur la rivière Ruzizi, destinés à produire de l’énergie hydroélectrique pour les trois pays. Ces barrages ont la particularité d’être situés sur le sol congolais, dans le Sud-Kivu, d’être exploités par une société régionale d’exploitation et de commercialisation créée et basée au Burundi, et d’employer du personnel des trois pays. Néanmoins, les bouleversements géopolitiques intervenus dans les Grands Lacs ainsi que les changements de régime dans les trois pays de la CEPGL ont redéfini les orientations régionales de ces États au détriment de cette institution. Ainsi les tensions diplomaticomilitaires entre la RDC, le Rwanda et le Burundi, qui ont entraîné l’adhésion de la RDC à la SADC en 1998 avec l’appui du Botswanais Masire, de l’Angolais Dos Santos et du Zimbabwéen Mugabe, et celle du Rwanda et du Burundi à l’East African Community (EAC) en 2005, par exemple, ont détourné les trois États de la CEPGL. Malgré les tentatives de relance et la multiplication des réunions de travail tripartites dans le cadre de cette institution, la CEPGL n’a pu retrouver d’élan. La mise en place de la Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs (CIRGL) à Bujumbura fin 200614 a englobé la CEPGL et sonné son glas.


 Il nous semble que les nouveaux enjeux géopolitiques et sécuritaires régionaux qui ont émergé avec ces conflits ont dépassé le strict cadre des trois pays, à tel point que la CEPGL ne pouvait plus prétendre jouer un rôle quelconque. Il nous semble aussi que ces mêmes enjeux ont longtemps constitué un point de blocage au rapprochement de la RDC vers l’EAC.

Cependant, depuis quelques mois, la RDC a entamé un processus de rapprochement avec l’EAC.

D’après la cellule Analyse et Prospective du cabinet du Premier ministre, ignorer l’EAC ou la considérer uniquement comme une organisation dont des membres pillent et déstabilisent le Kivu n’est plus une position tenable15 . Pour le gouvernement congolais, l’objectif stratégique de cette adhésion est triple : économique, géopolitique et sécuritaire. Économique car elle lui permettra, par exemple, d’harmoniser ses règles douanières avec le Burundi, l’Ouganda, le Rwanda et laTanzanie.

En effet, malgré le fait que la RDC est membre du « Corridor Nord » reliant par la route et le rail le terminal du port de Mombasa (Kenya) à la ville congolaise de Kisangani via l’Ouganda et Eldoret (Kenya), les commerçants congolais du Kivu et de la Province Orientale s’estimaient pénalisés par les politiques douanières de ces quatre pays pour leurs importations et exportations. L’objectif est également géopolitique car l’EAC correspond à toute la dynamique culturelle swahiliphone et démographique (déplacements des populations et réfugiés du Kivu) de l’Est de la RDC. L’objectif est enfin sécuritaire parce que l’EAC permettrait de discuter directement de la sécurité politique et des pillages des ressources naturelles du Kivu et de l’Ituri, à défaut de le permettre au sein d’un cadre trop large de la CIRGL. Néanmoins, quelques groupes politiques congolais (partis, groupes d’études, courants politiques, coalitions ou associations à caractère politique) soutenus par des médias et des organisations de la société civile continuent de s’opposer à une telle perspective qu’ils considéreraient comme une tentative de « balkanisation » de la RDC.

 Certains estiment que l’adhésion à l’EAC permettrait au président Paul Kagamé de rendre légitime et officiel le pillage des ressources minières du Kivu à travers la bourse des ressources naturelles que les responsables rwandais sont en train de mettre en place à Kigali.

 Ceci constituerait une collaboration au blanchiment des « minerais de sang » tant les groupes armés congolais, ougandais, burundais et rwandais exploitent et commercialisent les minerais de l’Est de la RDC où il n’existe pratiquement aucune industrie minière formelle16, l’essentiel de l’exploitation étant artisanale.

 L’écueil de la sécurité et des groupes armés Bien que cette stratégie régionale d’adhésion à l’EAC semblait être bien lancée et qu’elle devrait être discutée à l’Assemblée Nationale, la RDC reste préoccupée par la précarité de la paix et de la sécurité à l’Est. Elle estime toujours que ses voisins de l’Est (membres de la CEPGL, de l’EAC, du COMESA et de la CIRGL) ont continuellement développé une stratégie de déstabilisation vis-à-vis d’elle.

 Le rapport du Groupe d’experts de l’ONU17 en 2012 attestait que le groupe arméM2318 bénéficiait d’appuis politiques, militaires, stratégiques et logistiques de la part des officiels rwandais et ougandais. Quant au plan de paix basé sur les négociations entre le gouvernement congolais et le dit groupe armé d’une part et sur une force africaine neutre pour sécuriser l’Est de la RDC d’autre part, il tardait à voir le jour et a été accéléré à la suite de la défaite militaire du mouvement rebelle.



Avec la naissance du M23 en avril 2012, on a observé la montée au premier plan de la SADC dans les tentatives de résolution du conflit. Tanzaniens et Sud-Africains, également membres de la SADC, cherchent à peser sur la composition de la future Force internationale neutre et donc à jouer un rôle géopolitique et économique dans le Kivu. Pour certains, c’est la perspective de l’exploitation du pétrole dans le lac Tanganyika que la Tanzanie partage un peu avec le Burundi mais surtout avec la RDC qui définit leurs stratégies actuelles, quitte à utiliser les différentes plateformes régionales qu’offrent la SADC, l’EAC ou la CIRGL19 . C’est par la province du Katanga que la RDC se trouve dans la zone d’influence régionale des pays de la SADC.

Le Katanga et son économie minière d’exportation (et d’importation d’intrants miniers) sont orientés par le réseau routier vers le port de Dar es Salam en Tanzanie, et les ports d’Afrique australe suivants pour l’exportation : les ports de Beira au Mozambique et les ports sudafricains de Port Elizabeth, de Durban et du Cap via Lusaka et Harare.

 Les échanges transfrontaliers de grande distance de la RDC vers cette vaste zone passent par le poste frontalier de Kasumbalesa – Chililabombwe (à 120 km de Lubumbashi) - unique route vers Lusaka. Le principal défi de ces échanges porte sur l’harmonisation douanière et les règlementations du transport entre la RDC et la SADC.

 Le poids économique et stratégique de l’Afrique du Sud et de l’Angola Depuis la tentative de médiation que le président Nelson Mandela avait effectuée entre le président Mobutu et Laurent-Désiré Kabila en 1997, et suite aux interventions des troupes angolaises (en 1997), puis namibiennes et zimbabwéennes dans le conflit congolais entre 1998 et 2003, la SADC est très présente et influente dans les stratégies régionales congolaises.

Cette présence avait été  consacrée par l’adhésion de la RDC en 1997, première mesure concrète du virage régional qu’amorçait le nouveau président Laurent-Désiré Kabila. Il réorientait complètement la vision régionale congolaise (ou zaïroise à cette époque) vers une région qui avait été hostile à la politique du président Mobutu20 . De fait, la précipitation avec laquelle Laurent-Désiré Kabila avait fait adhérer la RDC à la SADC – quelques semaines seulement après son accession au pouvoir – était visiblement une stratégie pour contrebalancer le poids politico-militaire de l’Ouganda et du Rwanda dans son entourage et dans les orientations du pays.

 De fait, suite à une demande d’assistance lancée par Laurent-Désiré Kabila à la SADC en août 1998, alors que la RDC était attaquée par une rébellion orchestrée et soutenue par le Rwanda et l’Ouganda, l’Angola, la Namibie et le Zimbabwe se sont engagés militairement au côté du gouvernement congolais contre les rébellions dans lesquelles des généraux « mobutistes » étaient également engagés21 . D’autres analystes considèrent que, depuis son adhésion à la SADC, motivée avant tout par le besoin de se sécuriser en raison de sa faiblesse militaire, la RDC a déserté le centre de l’Afrique et d’autres régions où elle aurait dû jouer un rôle de premier plan, comme au Soudan et Soudan du Sud, par exemple22 .

Depuis cette adhésion, on observe que la RDC essaie d’acquérir un statut de pilier de l’organisation et ce, malgré les grandes faiblesses de situation post-conflit. Elle a pesé par exemple pour que la langue française devienne l’une des langues officielles de l’organisation et a placé une Congolaise, Émilie Mushobekwa, au poste de secrétaire exécutif adjoint chargé des finances et de l’administration (numéro deux de l’institution) ainsi qu’un haut officier congolais au poste de responsable adjoint de la planification des Forces en Attente de la SADC23 .

Si cette percée est bien claire en termes de stratégie de positionnement, en réalité l’appartenance de la RDC à la SADC obéit à plusieurs logiques qui mettent en exergue les rivalités et les intérêtsdivergents de plusieurs cercles d’influence ou de décision au sein de l’exécutif congolais. L’influence des milieux d’affaires dans le Katanga au détriment de l’intégration régionale La province du Katanga est tout naturellement la région congolaise la plus impliquée dans la SADC étant donné sa proximité géographique. Depuis l’avènement de Laurent-Désiré Kabila (lui-même katangais) à la tête de la RDC, des relations privilégiées se sont établies entre cette province et les pays de la SADC. D’après le panel d’experts de l’ONU24, des accords ont été conclus entre des hommes d’affaires et politiciens du Katanga et leurs homologues, en particulier ceux du Zimbabwe pour une intervention militaire des forces zimbabwéennes. Les accords signés dans ce cadre n’ont pas bénéficié à l’État zimbabwéen, qui a financé l’intervention de la force de défense nationale au Congo, mais à des opérateurs privés.

 Ainsi le transporteur Billy Rautenbach, par exemple, bien introduit auprès de la présidence zimbabwéenne, s’était vu attribuer la gestion des intérêts miniers dans le Katanga25 . Après le retrait des troupes étrangères du sol congolais suite à la signature des accords de paix de Lusaka, en 2003, qui ont vu les troupes namibiennes et zimbabwéennes quitter la RDC, et après la dénonciation de quelques contrats miniers léonins26, le secteur minier katangais se trouve dans une situation paradoxale. D’une part et sous l’instigation des ONG congolaises et internationales, on note des progrès dans l’instauration d’une transparence (Initiative pour la Transparence des Industries Extractives – ITIE- par exemple) dans les contrats miniers, mais d’autre part la lenteur et l’insuffisance d’engagement administratifs retardent l’harmonisation des règlementations congolaises pour une zone de libre-échange SADC.


La diplomatie parallèle et les rivalités économiques dans le différend pétrolier avec l’Angola Les relations diplomatiques entre l’Angola et la RDC ont été sérieusement mises à mal depuis deux à trois ans au sujet du pétrole que l’Angola exploite sur l’Atlantique. Des commissions mixtes ont été mises en place pour régler le différend frontalier après qu’un groupe parlementaire a tenté de porter l’affaire devant la Cour internationale de La Haye pour dédommagement27.

 Des émissaires congolais ont été chargés de trouver une solution à l’amiable afin d’éviter un procès international et de solliciter les appuis diplomaticomilitaires angolais contre la rébellion du M23 dans le Kivu. Des accords avaient été entrevus entre les sociétés angolaise SONANGOL et congolaise COHYDRO pour créer une joint-venture d’exploitation conjointe. On attend l’opérationnalisation du projet qui serait en cours de négociation28 . Les mêmes émissaires avaient contacté l’Angola et l’Afrique du Sud pour les impliquer individuellement et en tant que membres de la SADC dans la résolution du conflit dans le Kivu. En effet, en octobre 2012, alors que les rebelles du M23 accentuaient la pression pour prendre la ville de Goma dans le Nord Kivu, le président angolais, alors président de la SADC, s’était alors impliqué, en tant que président de la CIRGL, pour chercher à favoriser des pourparlers de paix29. Une délégation d’officiels Angolais et Sud-Africains avait ensuite fait une tournée entre novembre et décembre 2012 à Kigali, à Kampala, à Brazzaville et à Kinshasa30 tandis qu’un accord avait été obtenu pour qu’une telle intervention ait lieu dans le cadre d’une force de la SADC qui s’est finalement transformée en Brigade d’Intervention intégrée au sein de la MONUSCO au cours du dernier trimestre de 2013.

 Est-ce pour cette raison que le président sudafricain a refusé de donner son aval à la signature de la première version de l’accord de paix sur l’Est de la RDC en janvier 2013 à Addis-Abeba ? Même si Jacob Zuma n’a pas donné clairement les raisons de son refus, on peut penser qu’il avait privilégié la solution SADC contre toute autre initiative. Il avait finalement ratifié l’accord qui créait la Brigade d’intervention dotée d'un mandat d’imposition de la paix et chargée de démanteler les groupes armés dans l’est de la RDC. L’Afrique du Sud a été parmi les premiers pays à fournir des troupes pour la constituer. Avec un territoire qui s’articule autour de quatre zones d’influence aux dynamiques régionales inégales, la RDC est beaucoup plus active dans les zones d’Afrique australe et des Grands Lacs que dans celles du centre de l’Afrique et du bassin forestier du fleuve Congo. Ce double dynamisme est observable depuis 1997 lorsque la rébellion de Laurent-Désiré Kabila, soutenue par des pays des Grands Lacs (Burundi, Ouganda et Rwanda essentiellement) et par l’Angola (Afrique australe), a renversé le régime du Maréchal Mobutu.

Ce changement de régime était la conséquence des guerres civiles et des bouleversements géopolitiques enchaînés au début des années 1990 depuis le Burundi, jusqu’à l’Est de la RDC en passant par le Rwanda. Ce changement en RDC, ces bouleversements régionaux et les alliances conclues dans ce nouveau contexte ont été le point de départ d’un changement de stratégie régionale en RDC. Active dans les années 1970 et 1980 au sein de la CEPGL dont elle détenait le leadership, elle se retournait désormais vers la SADC à la fois pour contrebalancer le poids qu’avaient pris l’Ouganda et le Rwanda dans la politique nationale et régionale du pays et pour rechercher dans cette organisation des appuis diplomatiques et militaires dans le conflit à l’Est.


 Les entretiens avec différents responsables congolais montrent que ce conflit – orchestré par des groupes rebelles dont les principaux sont soutenus par les États voisins de l’Est de la RDC, d’après différents rapports de l’ONU – est l’une des raisons qui ont longtemps motivé les hésitations voire le refus de la RDC de s’impliquer dans l’EAC, dont l’Ouganda et le Rwanda sont des membres actifs. Mais depuis quelques mois, le gouvernement congolais a entrepris de se rapprocher de l’EAC, tandis qu’au même moment, la RDC multiplie les initiatives pour impliquer les pays de la SADC dans la recherche des solutions diplomatiques et militaires au conflit à l’Est. Certains de ces pays, comme l’Afrique du Sud ou la Tanzanie, y trouveraient une aubaine économique pour investir dans les minerais du Kivu.

Tout en démontrant un réel dynamisme de positionnement au sein de la SADC, la RDC ne s’empresse paradoxalement pas de développer une stratégie d’harmonisation de sa politique (douanes, transport, libre circulation, etc.) avec celle de la SADC. Les relations économiques entre la RDC et les pays de la SADC sont encore sous influence des réseaux et des sphères autour des intérêts privés.

 Elles se passent majoritairement hors du cadre institutionnel régionalSi l’opinion congolaise reste partagée en se réjouissant ou s’inquiétant de voir leur pays se doter d’une direction d’analyse et de prospective destinée à évaluer les enjeux autour des institutions régionales, on peut toutefois se demander si avec cet instrument le gouvernement congolais ira jusqu’au bout d’une logique simple : adopter des stratégies régionales équilibrées en fonction des quatre dynamiques qui caractérisent le territoire national.



Cyril Musila    Mai 2015


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